La première raison donnée par les biologistes : l'ensemencement est inefficace, puisque le taux de réussite est trop bas. Or, selon les deux techniciens qui travaillent d'arrache-pied à améliorer la situation à l'AFC, on atteint actuellement un taux de 80% d'éclosion en 2016. Comment faire mieux? Dans la nature, seulement 1% des œufs vont éclore, les autres sont dévorés ou meurent de différentes façons. Et seule une mince fraction de ce 1% survit et se rend à un l'âge adulte. À 80% à l'AFC, difficile de faire mieux.
Il faut parler avec Mario Paradis et Jean-Luc Lacroix pour constater avec quelle passion ils étudient les moindres facteurs susceptibles d'influencer la maturation et le développement des œufs; quand on entre dans le « saint-des-saints », on doit enfiler un survêtement, et mettre des bottes d'eau que l'on désinfecte dans un bassin. On ne doit pas s'agiter, car le stress est mortel pour les dorés. Pas de lumières de flash, pas de cris, pas de gestes brusques. Le local baigne dans une lumière tamisée et compte même un « hôpital », où on place les œufs atteints de champignons. À force d'expérimentations, on a développé des méthodes qui permettent de sauver 20% de tous les œufs « malades ». Toute une réussite!
La deuxième raison donnée par les biologistes touche le coût des opérations. Bien sûr, tout ce travail est impossible sans revenus, et il a fallu, au cours des ans, gratter les fonds de tiroir pour s'équiper, à coups d'astuces et, pratiquement, de miracles. Mais l'AFC défraie tous les coûts reliés à ses opérations. Aucune subvention. Aucun don substantiel. Aucune participation gouvernementale. Ce sont les droits d'accès qui couvrent tout.
Les pêcheurs le comprennent bien et acquittent chaque année leurs droits sans rechigner, car les résultats sont là, au bout de leur ligne : jamais la pêche n'a été aussi intéressante dans le Baskatong. Demandez-le à n'importe quel pêcheur qui fréquente le Baskatong depuis 20 ou 30 ans. Ils sont tous catégoriques. Chose étonnante, l'AFC a réussi à convaincre la grande majorité des pêcheurs que l'on doit respecter les limites et les quantités; la surveillance y a contribué pour beaucoup. À elle seule, cette réussite remarquable justifie amplement le mandat de l'AFC.
Mais l'organisme agit aussi sur d'autres plans, comme la surveillance des frayères. Le niveau du Baskatong variant énormément, il faut aménager des frayères qui pourront servir même quand le niveau est trop bas : sinon, les dorés fraient n'importe où et les œufs meurent tous. L'AFC a connu une brillante réussite dans ce domaine, une nouvelle frayère aménagée par leurs soins a déjà a été adoptée par un certain pourcentage de femelles qui sont allées y déposer leurs œufs.
Rares sont les initiatives qui soulèvent un tel appui dans leur milieu. Le gouvernement du Québec demande constamment d'implanter des projets « rassembleurs ». On en a ici un exemple frappant. Les pêcheurs participent. La population locale participe. Les membres de l'AFC s'y donnent corps et âme. Le soutien est général, partout dans la région. Rarement a-t-on vu un organisme faire ainsi l'unanimité.
Malheureusement, tout ce travail peut mener à une impasse, si l'AFC finit par perdre le permis de recueillir quelques spécimens de dorés dans le Baskatong : c'est de ça qu'elle est menacée. Car le permis de recueillir des dorés (une dizaine d'adultes) est lié à l'ensemencement, et si l'AFC perd l'ensemencement, elle perdra la possibilité de poursuivre ses expériences. Pour une fois que la région se démarque d'une si belle façon dans le domaine scientifique… la population n'arrive pas à croire qu'on pourrait ainsi saccager les résultats de près de 20 ans d'efforts et de progrès… Sans compter les emplois perdus.
Il reste à espérer que quelqu'un, quelque part, entendra ce cri du coeur.